Travail dissimulé : à éviter sous toutes ses formes !
En matière de travail dissimulé, on distingue, d’une part, la dissimulation d’activité, qui consiste à exercer une activité économique sans l’avoir déclarée et, d’autre part, la dissimulation d’emploi salarié (la plus connue, communément appelée « travail au noir »). Éviter de telles situations doit être une préoccupation majeure, tant l’addition peut être salée.
Éviter la dissimulation d’activité
Dissimulation d’activité : ce que disent les textes. La dissimulation d’activité est l’exercice à but lucratif d’une activité économique d’une personne qui, de façon intentionnelle :
– n’a pas requis son immatriculation obligatoire au répertoire des métiers ou au registre du commerce et des sociétés, ou a poursuivi son activité après refus d’immatriculation, ou postérieurement à une radiation ;
– ou n’a pas procédé aux déclarations aux organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale.
Activité à but lucratif : immatriculation nécessaire. L’interdiction de travail dissimulé par dissimulation d’activité vise toutes les activités exercées à titre professionnel et lucratif (activités artisanales, industrielles, commerciales, libérales et agricoles, mais également tout acte de commerce hors de ce cadre).
En pratique, l’activité en cause est présumée avoir un but lucratif :
– lorsque sa réalisation a lieu avec recours à la publicité sous une forme quelconque en vue de la recherche de la clientèle ;
– ou lorsque sa fréquence ou son importance est établie ;
– ou s’il s’agit d’une activité artisanale, lorsqu’elle est effectuée avec un matériel ou un outillage présentant par sa nature ou son importance un caractère professionnel ;
– ou encore lorsque la facturation est absente ou frauduleuse.
Achat-revente à titre habituel : s’immatriculer aussi. Le délit de dissimulation d’activité peut prendre des formes insoupçonnées. Ainsi, le fait de se livrer à une activité d’achat-revente à titre quasi professionnel sans immatriculation peut s’avérer risqué.
ILLUSTRATION. Suite à des perquisitions au domicile d’un particulier, de très nombreux objets ont été découverts (dont la provenance était établie par des factures) : téléphones portables, vêtements, pièces informatiques… les deux prévenus expliquaient gagner leur vie en se livrant à une activité d’achat-revente, dont une partie se réalisait hors du territoire français. Ils ont été condamnés : celui qui se livre de manière habituelle et professionnelle à des achats de biens meubles en vue de les revendre, que ces reventes aient lieu en France ou à l’étranger, acquiert la qualité de commerçant et doit s’immatriculer au RCS (cass. soc. 30 mars 2016, n° 15-81478).
Auto-entrepreneurs et salariat : gare aux limites
Bien faire la distinction. L’auto- entrepreneur (désormais appelé micro-entrepreneur) est présumé avoir un statut de travailleur indépendant à partir du moment où il est immatriculé au répertoire des métiers, au RCS ou à un registre professionnel ou s’il est affilié auprès des organismes sociaux en qualité de travailleur indépendant. Mais en pratique, le statut d’auto- entrepreneur dépend des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité. En cas de litige, les juges vont rechercher les indices suivants, qui peuvent laisser présumer l’existence d’une relation salariée :
– l’initiative même de la déclaration en travailleur indépendant (démarche non spontanée, a priori incompatible avec le travail indépendant) ;
– l’existence d’une relation salariale antérieure avec le même employeur, pour des fonctions identiques ou proches (voir ci-après) ;
– un donneur d’ordre unique ;
– le respect d’horaires ou encore le respect de consignes autres que celles strictement nécessaires aux exigences de sécurité sur le lieu d’exercice ;
– une facturation au nombre d’heures ou en jours ;
– une absence ou une limitation d’initiatives dans le travail, ou encore l’intégration à une équipe de travail salariée ;
– la fourniture de matériels ou équipements.
EXEMPLE. La requalification en salarié n’a pas été retenue contre un chauffeur livreur exerçant sous le statut d’auto entrepreneur car :
– il n’était pas à la disposition permanente du donneur d’ordre et restait libre d’effectuer les courses proposées par ce dernier, voire de travailler avec d’autres donneurs d’ordre s’il le souhaitait ;
– il exécutait ses prestations comme bon lui semblait, notamment pour ses horaires, ;
– il avait lui-même fixé le taux horaire de ses prestations.
Enfin, le seul fait qu’il utilisait les véhicules de son donneur d’ordre ne permettait pas à lui seul caractériser l’existence d’un contrat de travail (cass. soc. 20 octobre 2015, n° 14-16179).
Anciens salariés auto-entrepreneurs : risqué. L’employeur qui fait appel à d’anciens salariés devenus auto entrepreneurs prend un risque. S’il s’avère que ces auto entrepreneurs sont placés dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de leur ancien employeur, celui-ci se rend coupable de travail dissimulé.
EXEMPLE . Des salariés avaient, à la demande de leur employeur, quitté l’entreprise pour travailler en tant qu’auto-entrepreneurs exclusivement pour le compte de celle-ci. Non seulement les modalités d’exécution du travail leur étaient imposées mais, de surcroît, l’entreprise établissait elle-même les factures des auto-entrepreneurs qui lui étaient destinées. Pour les juges, l’infraction de travail dissimulé est clairement constituée car ces auto- entrepreneurs fournissaient en réalité à l’entreprise des prestations dans des conditions qui les plaçaient dans un lien de subordination permanent (cass. crim. 15 décembre 2015, n° 14-85638).
Éviter la dissimulation d’emploi salarié
Dissimulation d’emploi salarié : ce que disent les textes. La dissimulation d’emploi salarié est caractérisée lorsque l’employeur s’est abstenu, de façon intentionnelle, de procéder à l’une des formalités suivantes :
– la déclaration préalable à l’embauche (DPAE) ;
– la remise du bulletin de paie ;
– les déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales auprès de l’URSSAF ou de l’administration fiscale (ex : les bordereaux récapitulatifs de cotisations mensuels ou trimestriels (BRC), les déclarations annuelles des données sociales (DADS), etc.).
Non-déclaration intentionnelle d’heures de travail. La mention intentionnelle sur le bulletin de paye d’un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli caractérise le délit de travail dissimulé, sauf s’il s’agit d’appliquer une convention collective, ou un accord collectif d’aménagement du temps de travail.
EXEMPLE. Les heures supplémentaires payées, mais « cachées », par exemple sous le libellé de prime sur le bulletin de paie, relèvent de la dissimulation d’emploi salarié. Le versement de primes exceptionnelles ne peut pas tenir lieu de paiement des heures supplémentaires, même lorsque les montants correspondent entre eux.
Cela étant, une erreur n’est pas synonyme de travail dissimulé. Pour qu’il y ait délit, l’inexactitude du nombre d’heures figurant sur le bulletin de paye doit être intentionnelle. Autrement dit, l’erreur, l’oubli, sont admis.
Ce caractère intentionnel ne peut donc pas se déduire :
– ni de la seule absence du nombre d’heures supplémentaires sur le bulletin de paie ;
– ni du seul fait qu’un nombre important d’heures supplémentaires effectuées par le salarié ne figure pas sur le bulletin de paie.
NOTRE CONSEIL. En cas d’oubli, le bon réflexe consiste à faire apparaître ces heures sur un bulletin de paie ultérieur (ne serait-ce que pour les rémunérer) en précisant qu’il s’agit d’un rappel.
En revanche, le caractère intentionnel est avéré lorsque, par exemple, l’employeur :
– refuse de tenir compte de la réclamation d’un salarié alors même que l’inspecteur du travail avait constaté des dépassements d’horaire ;
– a fait sciemment travailler le salarié au-delà de la durée légale du travail sans le rémunérer de l’intégralité de ses heures ;
– ou encore, a demandé au salarié d’effectuer de multiples tâches sans procéder au moindre enregistrement des horaires effectués.
Bénévolat et entraide familiale : à surveiller
Bénévolat. Dans certaines circonstances, les activités de bénévolat peuvent être qualifiées de « travail dissimulé » par dissimulation d’emploi salarié. Tout dépend des circonstances dans lesquelles l’activité s’exerce et s’il y a un lien de subordination caractérisant un contrat de travail. Attention, signer un contrat « de bénévolat » ne suffit pas. Celui-ci pourra être requalifié en contrat de travail si les conditions en sont remplies.
EXEMPLE . Il a été jugé que les membres adhérents d’une association, qui effectuaient un travail d’accompagnement de voyageurs sous les ordres et selon les directives de l’association et qui percevaient une somme forfaitaire supérieure aux frais réellement exposés, étaient liés à l’association par un contrat de travail.
Entraide familiale. En présence de liens de parenté, il n’est pas toujours facile de séparer ce qui relève de la simple entraide familiale du véritable salariat. Ainsi, l’existence d’un lien de parenté n’exclut pas nécessairement des relations d’employeur à salarié : ce lien entraîne une présomption simple d’entraide familiale, qui peut donc très bien être renversée par la preuve contraire de l’existence d’une activité salariée lorsque les critères en sont réunis (lien de subordination, rémunération…).
La présence de liens affectifs entre les parties fait présumer, selon l’ACOSS, l’entraide familiale. Certaines fonctions paraissent, en effet, devoir relever de l’entraide par nature : par exemple, les fonctions de garde-malade.
De plus, le caractère occasionnel de l’aide peut également constituer un critère pertinent pour distinguer celle-ci du contrat de travail qui exige, en général, une prestation de travail durable. Mais si les relations d’aide s’institutionnalisent, c’est-à-dire deviennent régulières et reposent sur un accord des parties, l’ACOSS estime qu’il faut les requalifier en relations salariales.
D’une manière générale, l’ACOSS recommande aux URSSAF d’examiner toutes les situations au cas par cas.
D’autres formes de travail illégal
Le délit de travail dissimulé n’est pas la seule infraction constitutive du travail illégal. Sont aussi notamment concernés :
– le marchandage ;
– le prêt illicite de main-d’oeuvre ;
– l’emploi d’un étranger dépourvu d’autorisation de travail.
Sanctions
Rupture : coût spécifique. S’il y a eu dissimulation d’emploi salarié, le salarié a droit, en cas de rupture de son contrat de travail, à une indemnité égale à 6 mois de salaire, sauf dispositions conventionnelles plus favorables.
Sanctions en matière de cotisations sociales. Si une infraction de travail dissimulé est constatée, les rémunérations réintégrées dans l’assiette des cotisations ne donnent pas lieu aux réductions ni aux exonérations de cotisations de sécurité sociale. Par ailleurs, un redressement de cotisations sociales dues sur la rémunération du salarié (effectivement versée ou due) est imposé.
Autres sanctions. La dissimulation d’emploi salarié est punie de 3 ans de prison et d’une amende de 45 000 €, portée à 225 000 € pour les personnes morales. Des peines complémentaires peuvent être infligées à l’employeur (ex. : interdiction d’exercer), qui peut aussi se voir refuser les aides publiques à l’emploi et à la formation professionnelle pour une durée maximale de 5 ans.
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